Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
Par Olu. Ibekwe
Dans la vie de toute institution, il arrive un moment décisif où
la fidélité à la loi est mise à l'épreuve face au poids des coutumes ou des
pratiques bien établies. Pour le Parlement panafricain (PAP), ce moment est
venu. Au cœur des débats actuels sur la durée du mandat du Bureau, la rotation
et les règles internes se pose une question simple mais profonde : la
pratique institutionnelle peut-elle prévaloir sur les dispositions
contraignantes du Protocole du PAP ?
La réponse, solidement fondée sur le droit conventionnel et la
jurisprudence de l'Union africaine (UA), est non. Le Protocole instituant le
Parlement panafricain est un traité ratifié et, selon la logique même du
droit international, il prime sur les coutumes ou pratiques informelles qui ont
pu s'immiscer dans le fonctionnement quotidien de l'institution.
Les enseignements de
la Cour africaine
La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples s'est
déjà prononcée à plusieurs reprises sur cette tension précise entre le droit et
la pratique.
Dans l'affaire APDH c. Côte d'Ivoire (2016), la Cour a
été confrontée à un système électoral conforme à la pratique nationale, mais
incompatible avec les traités continentaux tels que la Charte africaine de
la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG). La Cour a statué
sans équivoque que la Côte d'Ivoire avait manqué à ses obligations :
“La Cour statue que l'État défendeur a manqué à son obligation
d'établir un organe électoral indépendant et impartial, comme le prévoient
l'article 17 de la CADEG et l'article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie [...] et ordonne à l'État défendeur de modifier la loi n° 2014-335
[...] afin de la rendre conforme aux instruments susmentionnés dans un délai de
douze (12) mois.”
La pratique, aussi bien établie soit-elle, ne constituait pas un
moyen de défense
Ce point a été réaffirmé
dans l'affaire Suy Bi Gohoré Emile et autres c. Côte d'Ivoire (2020),
lorsque la Cour a estimé que les modifications législatives ultérieures
apportées par la Côte d'Ivoire ne répondaient toujours pas aux normes du traité
:
“La Cour estime que l'État défendeur n'a pas pleinement respecté
ses obligations au titre de l'article 17 de la CADEG et de l'article 3 du
Protocole de la CEDEAO sur la démocratie [...] et ordonne à l'État défendeur,
avant toute élection, de prendre les mesures nécessaires pour mettre la loi n°
2019-708 en pleine conformité avec les instruments susmentionnés.”
Une fois de plus, la Cour a estimé que les États ne peuvent se
conformer que partiellement ou s'appuyer sur des dispositions bien établies ;
la seule mesure valable est la mise en conformité totale avec les instruments
de l'UA.
L'affaire Lohé Issa
Konaté c. Burkina Faso (2014) est encore plus frappante. Dans cette
affaire, la Cour a invalidé des lois pénales sur la diffamation qui étaient
parfaitement légales en vertu du régime interne du Burkina Faso, mais
incompatibles avec la Charte africaine et le PIDCP. Ce faisant, elle a affirmé
la primauté des traités ratifiés sur le droit et la pratique nationaux.
Primauté des traités sur la pratique : un principe établi
La jurisprudence de la
Cour africaine montre clairement que la primauté des traités et protocoles
ratifiés sur les coutumes ou pratiques est désormais un principe établi dans
l'ordre juridique de l'Union africaine.
Dans l'affaire APDH c. Côte d'Ivoire, la Cour a rejeté
l'argument fondé sur la pratique nationale et a ordonné à l'État de modifier
ses lois afin de les mettre en conformité avec la CADEG et le Protocole de la
CEDEAO. Dans l'affaire Suy Bi Gohoré Emile, elle a réaffirmé que même des
réformes partielles ou des dispositions législatives bien établies sont
insuffisantes si elles ne satisfont pas aux normes du traité. Et dans l'affaire
Lohé Issa Konaté, elle a estimé que le droit pénal national devait céder le pas
à la Charte africaine et au PIDCP.
Ensemble, ces affaires
établissent une jurisprudence constante : une fois qu'un État membre de
l'UA a ratifié un instrument juridique, ses dispositions prévalent sur les
lois nationales, les dispositions administratives ou les coutumes
contradictoires. Ce principe, qui a été clarifié à plusieurs reprises par
l'organe judiciaire de l'UA, n'est plus contestable au sein du système de l'UA.
Pour le PAP, la conséquence est directe : les articles 12.3 et
12.4 du Protocole du PAP ne peuvent être affaiblis, suspendus ou réinterprétés
par la coutume ou la pratique. Le Protocole est suprême, et l'alignement
institutionnel est à la fois une obligation légale et une nécessité politique.
Un Parlement ancré
dans le droit
La lutte entre le droit et la pratique n'est pas propre au PAP ;
c'est un défi permanent pour la gouvernance à travers le continent. Mais dans
le cas du PAP, les enjeux sont plus importants. En tant qu'organe législatif de
l'Union africaine, le PAP ne peut se permettre de transiger sur le principe de
la primauté des traités. Cela éroderait sa propre légitimité et
affaiblirait son autorité pour exiger des États membres qu'ils se conforment
aux traités.
La Cour africaine a
fourni une feuille de route claire : les traités prévalent, la pratique s'efface.
Pour le PAP, la voie à suivre n'est donc pas ancrée dans la
nostalgie des coutumes passées, mais dans une stricte fidélité au Protocole.
C'est ainsi que le Parlement pourra non seulement résoudre ses débats
institutionnels actuels, mais aussi s'affirmer comme un gardien crédible de la
légalité continentale.
Conclusion
La primauté du Protocole
du PAP sur la pratique n'est pas un principe abstrait. Il s'agit d'une réalité
judiciaire vécue à travers toute l'Afrique, affirmée à maintes reprises par la
Cour africaine. Le Parlement a désormais la possibilité, voire l'obligation, de
s'aligner sur cette jurisprudence.
Ce faisant, il démontrera
aux États membres, aux citoyens africains et au reste du monde que, dans le
cadre du PAP, c'est le droit, et non la coutume, qui définit la légitimité.
Et qu'il n'y ait aucune ambiguïté : les avis du Bureau du
conseiller juridique (OLC) sont de nature consultative. Ils peuvent guider
l'interprétation, mais ils ne peuvent pas passer outre ou affaiblir la force
contraignante d'un traité ratifié. Le Protocole du PAP est un traité loi. Ses
dispositions sont contraignantes, et non facultatives ; suprêmes, et non
négociables. Toute tentative visant à soumettre ses règles claires à la «
pratique » ou à les réinterpréter par le biais d'avis consultatifs
constituerait un profond écart par rapport à l'état de droit au sein du système
de l'UA.
Le message est donc sans équivoque : l'OLC peut donner des
avis, mais c'est le Protocole qui commande. Sa suprématie ne peut être négociée.
--------------
Points clés à retenir : Primauté du traité sur la pratique
La jurisprudence de la Cour africaine est claire
·
APDH c. Côte d'Ivoire (2016) : la
pratique ou le droit national ne peuvent justifier un écart par rapport aux
traités de l'UA. La Côte d'Ivoire a été condamnée à modifier sa loi électorale
afin de la mettre en conformité avec la CADEG et le protocole de la CEDEAO.
·
Suy Bi Gohoré Emile & autres
c. Côte d'Ivoire (2020) : les réformes partielles restaient insuffisantes ; la
Cour a réaffirmé que seule une conformité totale avec les instruments de l'UA
était acceptable.
· Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (2014) : les lois nationales
sur la diffamation ont été invalidées car incompatibles avec la Charte
africaine et le PIDCP — les traités prévalent sur les lois nationales bien
établies.
Un principe établi de l'UA
·
La primauté des traités et
protocoles de l'UA sur les coutumes, les pratiques ou la législation nationale
est désormais une jurisprudence constante de la Cour africaine.
·
Une fois ratifiés, les
instruments juridiques de l'UA doivent être appliqués, indépendamment des
pratiques institutionnelles contraires.
Implications pour le PAP
· Les articles 12.3 et 12.4 du Protocole du PAP relatifs au mandat
et à la rotation du Bureau ne peuvent être réinterprétés ou affaiblis par une «
pratique de trois ans » ou toute autre coutume.
· La nouvelle clause de primauté figurant dans le règlement
du PAP est pleinement conforme à la jurisprudence de la Cour africaine.
· La crédibilité du PAP dépend de l'application du même principe
de suprématie des traités qu'il exige des États membres de l'UA.
Conclusion
Les traités prévalent, la pratique cède.
·
Pour le PAP, le strict respect du
Protocole est à la fois une obligation juridique et une nécessité
politique.
No comments:
Post a Comment
Disclaimer: Comment expressed do not reflect the opinion of African Parliamentary News